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Paysage

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Belle-Île ou le voyage de l'origine (1997) 

 

Retour, cette fois à l'entrée de Goulphar, j'ai encore un temps de lucidité et disponibilité pour entendre que le démembrement de Domois, série de dômes et croupes à dos de monde en mer, de disques terrestres atteint au plus haut et je le murmure, ce que je ne faisais pas à l'Apothicairerie, je le prononce, entraîne S... au bord de la falaise et du délire de beauté : plus n'est pas concevable ou supportable. La côte de Goulphar, même par temps calme, écume. La côte est en furie. En furie de beauté. La terre tranche la mer et le ciel ou s'y brise. Qu'importe ! Les éléments sont toujours, sont encore au premier jour de la création. Le monde naît. Belle-Île, le premier jour du monde.

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Noirmoutier ou le temps des songes (1998) 


La Chaussée neuve de Port de Morin à la plage de Luzéronde, un enrochement récent déploie, le long de l'océan, une chaussée et véritable balcon. En dehors de la défense de côte, aucune autre fonction apparente mais la conséquence, c'est de se retrouver brusquement en hauteur, l'Herbaudière et l'île du Pilier en point de mire, un égrènement rocheux et surtout au dessus de la mer. Ne compte et vaut que l'au-delà. Même pas l'horizon, il n'est que fictif, le brassage du large, le mouvement de la houle, le monstre de la mer en perpétuel renouvellement. Vague de l'infini, première vague avant la vague céleste, nous sommes et je suis à deux doigts et pas de basculer vers les espaces sidéraux.

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Ouessant ou les âmes en peine (1999) 


La pointe du Stiff, au terme d'une progression triangulaire, un lourd et puissant promontoire mais si ascensionnel que j'ai l'impression de décoller et sinon atteindre la barre des nuages, une terre aérienne. 
Vision de goéland du moins. Regard d'abord en arrière. Regard sur la baie du Stiff. Un effondrement marin. Vertigineux. 
De la baie du Stiff jusqu'à la pointe d'Arlan au-delà qui pourtant finit par une cassure de bec baissé, la falaise à accent circonflexe tombe verticalement, s'enfonce en contre bas, repousse pour ne pas céder au vide. Pas d'accès imaginable en dehors du mur de la jetée. Pas de transition. Pas de compromission. L'incompréhension à l'état brut. L'affrontement des deux règnes, du minéral et du mobile. Mais un affrontement si violent que, me sentirais-je de trop, la colère des éléments n'en est que plus divine. Dieu ici est encore à l'œuvre. La nuit n'a pas encore accouché du jour mais dans le demi-jour et les demi ténèbres d'un surgissement nocturne que la lumière ne semble devoir jamais atteindre complètement, rien de plus fort ou plus grand n'est possible. La création a déjà achevé son règne. 
Au demeurant, je me retire à tâtons...

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Sein ou le passage de la ligne (1999) 

 

Quelques pas, le temps que je me remémore le plan de l'île de Sein, passé le retour opposé de l'anse des Paimpolais, une seconde anse en retrait, celle du quai des Français Libres, où nous avions logé, refermé en partie du côté du sud par un îlot poursuivi par un môle en cercle presque parfait, pendant qu'à l'opposé du côté de l'ouest, le gros de l'îlot central de Sein s'effiloche vers le phare du même nom en un zigzag de terre ou galet à ras de la ligne de haute mer. 
A peine, une île. Plutôt un rocher. Des maisons sur la mer. Mais je n'ai pas le loisir de l'affiner...

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Sein ou le voyage sans retour (2001) 
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Armeries
Fin avril, sur la dune sablonneuse de Beg ar C'hale, entre les faisceaux de lances de l'iris jambon, deux ou trois plants d'armeries en fleurs. Au bout de hampes bien courtes qui sortent isolément de touffes aplaties, le rosissement des fleurs, de près, une multitude de petites fleurs à cinq pétales et pointe de jaune à l'intérieur. Chaque ensemble, un bouquet. A côté du blanc tendre des pâquerettes, le premier rose de la saison. Un rose à épingler au fond de son cœur pour entendre toutes les nuances de Sein. Même dans l'infime et le peu, mais je me suis ensoleillé en novembre devant le jaune-orange de pavots cornus, même dans le trois fois rien, mais à nouveau parce qu'il y a au moins cette touche, un rose si rose que je n'ai pas besoin d'une lumière plus intense pour passer la journée. Elle est fleurie d'armeries.

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Bréhat ou le paradis retrouvé 

 

Au dessus de Bréhat redevenue une île en pleine mer, du haut de la butte Saint-Michel à épée déployée, l'étang de Birlo, la ligne de Beniguet et Crouzen, au-delà encore, le continent et la ligne de l'île Maudez, la ligne de l'horizon, un éparpillement d'îles en pleine mer à succession et juxtaposition, presque deux à deux, d'îles à bois de pins et d'îles qui ne sont que des rochers, juxtaposition du premier jour de la création et du premier jour du monde, du surgissement et du paradisiaque ; à toucher le roc brut, lourdement mouluré, dans le prolongement de la croix cardinale, un pullulement ininterrompu, une création à îles continue au reste favorisée par le reflux qui laisse paraître de multiples rochers, vers une beauté maîtresse et une finalité positive que scande et rythme aussi bien, en accomplissement du premier cercle de Bréhat, le deuxième mamelon de Beniguet à plage semi-circulaire que le boisé de Maudez. La création ou elle ne serait que décréation crée vers la lumière.

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Groix ou la croix du salut (2001) 
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Bientôt le vent à nouveau libre et le donjon du phare, inscrit à la base dans un bâtiment en croix, puis tout autour, la descente sur l'océan. La lande et la mer. La proue de Groix. 
Arrêt. Courses. Retour à la hauteur du sémaphore. Passage dans un vallon marécageux à grotte. Le tranché des falaises. L'éperon de Pen Men, la pointe de la pierre. 
Le roc et, à travers ma personne, l'homme juste émergés de la création. La création en acte. L'homme neuf. 
Pas d'intermédiaire. Pas de mensonge. La vérité en face. 
L'homme, même si nous passons notre temps à la nier, est aussi infini que la création. 
L'homme est à la démesure de la mer. 
Silence. Une parole silencieuse. 
Au-delà de la nudité de la lande que je me remémore bien, le coup de poing libérateur du large. Le rire du large et de l'infini. 
L'homme est l'homme. 
Je recule. M'assois. Pointe de Pen Men.

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Le golfe du Morbihan ou les îles enchantées (2002) 

 

Kerbodec
Dans une cour de ferme à Kerbodec, pour mon plaisir, toujours à fumier, à fond d'anse pour la situation mais bien au-dessus, en profondeur et très loin, une flaque de Golfe, bleue océan sur le bleu filé de blanc du ciel, une flaque de mer où puiser à pleine gorge pour en savourer la nuance bleue et devenir, à son tour, ciel et mer. Une flaque de mer directement branchée sur l'infini. Une source au bout du compte. La résurgence du ciel et de la mer.

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Venise ou la respiration de l'invisible (2002) 

 

Silence
Dès que je m'écarte des quais extérieurs où flûtent les sirènes des vaporetti, même à quelques pas du bassin de Saint-Marc où très vite les touristes deviennent des ombres et n'empruntent qu'occasionnellement le réseau des venelles, entre des maisons vides et à intervalles, un café enfumé et crasseux pour vénitiens mais finalement, même sur les quais, le ressac et le silence. Pas un silence vide et inutile, un silence plein, un silence pour piéton ou amphibien que traverse sans doute par instant le bruit du ressac et bien rarement un trille mais ne blesse jamais l'agitation humaine. Un silence pour l'écoute du silence. Un silence ouaté et moelleux. Le silence.

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Voyage au centre de Nantes (2000) 

 

Balcon
Quai de la Fosse mais il y en a un peu partout, un petit balcon louis quinze. Balcon à corbeille, au galbe ample, tout à fait semblable à une commode tombeau de la même époque ou à une faïence chantournée. L'évasement et le voluptueux de la forme d'une réalisation technique difficile, sans compter le raffinement des volutes intérieures, n'a pas pour objet que le plaisir de l'œil et d'un œil exercé mais, en tout et partout, de retrouver le corps de la femme. Arrondi de hanche, épanouissement de sein, creux de la taille. Le balcon se caresse et qui s'y appuie, négligemment ou à dessein, se presse contre quelque Vénus ou Astarté.

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Le Thoronet ou la musique de l'âme (2001) 

 

Jérusalem céleste
Depuis la terrasse nord ou ouest du cloître, vers le clocher à mur escalier, vers la pointe d'aiguille et fusée de la pyramide faîtière, en achèvement de la paix sensible du carré monastique proche, un étagement de volumes et toitures, non pas vers le ciel mais dans le ciel. Le temps enfin éternisé. Ici bas en apparence mais en réalité ici, la vision et vue de la Jérusalem céleste.

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Entre vaux et merveilles (2001) 

 

L'amande
Depuis les fenêtres de la citadelle ou le parapet du chemin d'accès, Entrevaux en dessous, entre la base du piton mais à l'origine une arête transversale et la boucle du Var, se dessine par le jeu des rues en ondes concentriques. Village amande sous la peau granuleuse des toits en tuile romaine, la peau rouge et jaune, un village à déguster tout autant que regarder. Un village à grignoter lentement pour se souvenir plus tard du goût de la terre.

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Le pays de Retz (1995) 

 

Déluge
De Rouans à Vue et Frossay, quasi annuellement, quand l'Acheneau déborde, le déluge, routes coupées, villages transformés en îles ou presqu'îles, étendues que ne percent plus que de temps en temps le bouquet de feuillage des saules. Mais un déluge heureux, gens aux portes, rires extérieurs ou intérieurs. Le retour d'un bain initiatique. Voici le temps de se rappeler que le baptême s'opère aussi par l'eau, en confirmation de celui du Jourdain, un baptême du cosmos où flotter et nager, poisson et homme.

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Guérande ou les remparts de l'âme (2000)

 

Colimaçon
L'esprit ou l'utilité d'un escalier et particulièrement d'un escalier à colimaçon, pour monter vers les étages ou redescendre au rez-de-chaussée. Mais pas seulement. Pour monter et descendre en soi-même, s'entortiller autour de son axe central et ne plus jamais se quitter. L'escalier sis au dix rue de Saillé, et tout escalier semblable, une spirale vers l'infini.

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En étrange presqu'île ou l'alchimie du sel (2000) 

 

Cristallisation
Un après-midi heureux mais il faut faire attention à la surchauffe, la mourre dans un oeillet se cristallise presque à vue d'œil. Sous l'eau rougie, en grappe, le sel naît et s'amasse. L'eau déjà résiduelle et la cristallisation par suite bien avancée, peut-être est-ce une impression et les bancs de sel s'étendent moins que je ne les découvre mais force m'est de remarquer bientôt que, sous l'eau de surface, le sel en nappes compactes et épaisses comble tout l'espace de l'œillet. Un sel gris bleu et rouge à prendre à pleines mains. Grâce et floraison de la mer. Une manne.

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La Brière ou le commencement du monde (2001) 

 

Colverts
Au centre d'une vaste piarde et de prés inondés, à bonne distance de la berge et même des roselières, quatre ou cinq canards. A l'évidence, rien que par leur ramassé et méfiance à tourner sur place en attendant la nuit pour manger, des canards sauvages. Hors de portée de fusil et même de regard, je les identifie immédiatement pour des colverts, sans les voir vraiment, ressens leur envol de caravelle et visuellement me représente, tant je les ai dans l'œil, le vert et bleu des mâles auprès du gris et blanc des femelles plus petites. Une beauté somptueuse. Pure. Plus belle en un sens que celle de mes congénères car dégagée de notre ordre de souci. A avoir envie de me l'approprier et la voler. Pourquoi pas jusqu'à les tuer. L'acte de tuer, à la fois le rapt et la reconnaissance. Mais derrière et en premier justement, un cri d'émerveillement. Les colverts, mon idéal de beauté et peut-être d'existence. Le bleu et ciel ou vert du paradis terrestre.

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Le Croisic ou l'île secrète (2002) 


Or
En plein été et pleine lumière, devant Sissable, le banc de sable, du moment que la mer ne le recouvre pas complètement à marée haute, rougeoie et même illumine. Un deuxième soleil. Un soleil d'or quelquefois plus brillant que le premier. Le soleil du traict. L'or du traict. Un filon inépuisable. Les mines ou sables aurifères de la presqu'île guérandaise.

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La presqu'île de Guérande ou le sel de la terre (2003) 


Penbé
Penbé, depuis la côte de Mesquéry, en contrebas mais en remontée, une échancrure de terre que parsèment et bossuent des maisons pareilles à des rochers et, depuis la mer, une ligne de falaise à peine denticulée, presque une ligne droite, au fond du triangle formé par les falaises de la presqu'île de Guérande et celles de Rhuys, le dernier point de résistance, mais à Penbé même, les maisons se grouperaient-elles plutôt du côté de la pointe qui descend dans le traict, mais à Penbé, certes, chacun mesure devant la crénelure de la falaise pratiquement à roc nu qu'il s'agit de protéger le traict et les collines derrière mais, en même temps, chacun conçoit, face à la pointe de noir de l'île Dumet au centre de l'étendue et centre des terres émergées du globe, chacun conçoit qu'il est encore plus nécessaire d'affronter le large non plus seulement en résistant mais en le combattant à visage découvert, tête à tête et visage à visage avec l'infini. La méditation quotidienne de Penbé.

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